Sleepy John Estes par Big Bill Broonzy
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Sleepy John Estes par Big Bill Broonzy
SLEEPY JOHN ESTES
La manière selon laquelle Sleepy John Estes jouait et chantait, nous l'appelions "pleurer le blues" parce qu'il pleurait vraiment lorsqu'il chantait certains de ses chants de travail ou certains de ses blues.
Parmis ses meilleures chansons, je citerai "Married Life Blues", Good Old Cabbage Green", "My Mother Don't Allow Me To Stay Out Too Long" et "Don't Take Money From A Poor Boy Like Me".
Dans le temps, j'ai travaillé dans une équipe d'ouvriers de chemin de fer. Nous devions aligner les nouveaux rails sur la voie. Notre équipe se composait de huit hommes et nous avions chacun une barre de fer d'environs 1m80.
John Estes était celui qui chantait pour diriger notre travail.
Le matin, pour nous rassembler, il criait :
"Chaque matin, chacun d'entre vous prend une barre de fer et me suit"
La plupart du temps, nous devions faire à pied environ un kilomètre pour aller de nos baraquements au chantier.
John Estes chantait tout le long du chemin. Lorsque nous étions arrivés, il criait :
"Groupez-vous autour de moi les gars, comme des mouches autour d'un sucre"
puis :
"Tout les hommes à leur places, comme des chevaux dans leurs brancards". Cela voulait dire que nous devions placer notre barre sous le rail. il nous criait alors :
"Chacun des gars a-t-il sa prise ? sinon prenez-là et prenez là bien !
A une certaine distance de nous se trouvait un homme blanc qui indiquait à John Estes ce qu'il fallait que nous fassions, pour qu'il puisse à son tour nous le chanter.
Un jour ce blanc continuait de nous faire des signes, mais nous demeurions là sans bouger. Il se facha et s'approcha de nous.
"Qu'est ce que vous me foutez là, sacré nègres" ?
Nous ne pouvions lui répondre. Il se tourna vers John Estes :
"Qu'est ce qui ne va pas" ?
John Estes ne répondit pas. Le blanc le frappa. John se réveilla, se mit aussitôt à chanter et le travail repris. C'est de là que provient ce nom, qui lui est resté "Sleepy John Estes"
John avait une femme dans le camp, que nous appelions Marie la pleureuse parce qu'il la battait presque chaque jour. Il y était bien obligé d'ailleurs, sinon elle ne fichait absolument rien, tandis qu'après avoir été battue elle faisait les meilleurs gateaux et biscuits, et elle cuisinait à merveille. S'il ne la battait pas, elle laissait tout brûler, même la nourriture du chef.
C'était là tout le travail de John Estes : battre Marie et chanter pour nous. Tout le travail de la journée se faisait au son de sa voix. Si l'un de nous devait aller aux toilettes pendant le travail, il le disait à John Estes, qui le chantait au surveillant. Lorsque ce dernier lui faisait signe, il nous chantait :
"Déposez tous vos barres, il y a un temps d'arrêt".
Evidemment pas question de "toilettes", comme je dis - on allait tout simplement s'accroupir derrière un arbre ou un buisson, et quand on revenait John chantait de nouveau :
"Tout les hommes à leur places, comme des chevaux dans leurs brancards".
Un jour, nous étions arrêtés pour laisser passer un train. Le surveillant nous faisait suspendre le travail une dizaine de minutes avant son arrivée, de façon à ce que nous puissions ôter les outils de la voie et nous mettre à l'écart. John s'était évidemment endormi. Lorsque le train passa à notre hauteur en sifflant, il s'effraya à tel point qu'il s'enfuit à toutes jambes.
"Où est John Estes" ? vint nous demander le surveillant.
"Que le diable l'emporte, il lui arrive toujours quelque chose à celui-là ; quand il n'est pas endormi, il a mis les bouts. Allez tous à sa recherche, et que je ne vous revoie pas sans lui".
Nous étions évidemment enchantés, parce que sans John Estes nous ne pouvions travailler. Et nous voilà donc partis à sa recherche. Nous le retrouvons à quelques kilomètres de là, dormant profondément. Sans faire trop de bruit, nous nous installons près de lui, sous un grand arbre, et nous nous endormons aussi. Environs trois heures plus tard, l'un de nous se réveille :
"On ferait bien d'y aller"...
Nous réveillons John Estes et retournons sur la voie. En chemin nous préparons une bonne histoire à raconter au surveillant. John Estes la mit au point lui-même, parce que nous savions que le blanc avait confiance en lui.
"Je lui dirai que j'ai été poursuivi par un ours, que j'ai dû me réfugier dans un arbre et que vous avez tous dû chasser l'ours avant que je puisse redescendre de l'arbre.
Revenus à l'endroit du travail, nous trouvons le surveillant profondément endormi sous un arbre, lui aussi.
"Voilà toujours un mensonge que je n'aurai pas à lui faire avaler", nous dit john Estes. "Parce que maintenant il dort et il est l'heure de partir. Je vais le réveiller. Préparer vous".
John Estes réveilla le surveillant.
"Où avez-vous été" ?
"Mais nous étions ici, chef, à côté de vous".
Nous avons mis la voiture à main sur la voie et sommes retournés au camp tous ensemble. Le chef n'ouvrit pas la bouche, tout le long du chemin.
John Estes chantait et nous reprenions tous en choeur.
Dans le courant de la soirée, tandis que nous étions couchés dans l'herbe, John raconta l'histoire aux autres. Après avoir bien ri, tout le monde alla se coucher.
Sleepy John Estes doit avoir à peu près 80 ans maintenant, parce que tout ceci se passait en 1912 et 1915, Lorsque que j'avais environ 19 ans. Je fuyais la maison pour pouvoir aller travailler sous la direction de John Estes qui me laissait parfois chanter avec lui.
Après cela, Je l'ai rencontré de nouveau à Chicago en 1922. Il chantait le blues.
extrait de l'autobiographie "Big Bill Blues" traduit par Yannick Bruynoghe (préface de Henry Miller)
Dernière édition par Bloomers le 05.09.09 15:12, édité 1 fois
Bloomers- Messages : 2749
Date d'inscription : 15/04/2008
Age : 49
Re: Sleepy John Estes par Big Bill Broonzy
Attention aux dires de Big Bill Broonzy, beaucoups ce sont révélés faux...
Mais, c'est un fameux bouquin, réédité chez Ludd en 1987, de l'original paru en 1955, mais augmenté!
Mais, c'est un fameux bouquin, réédité chez Ludd en 1987, de l'original paru en 1955, mais augmenté!
yza- Messages : 1236
Date d'inscription : 30/08/2009
Localisation : Enfer
Re: Sleepy John Estes par Big Bill Broonzy
Livre complètant le précédent, fait par un fana, faisant parti du Hot Club de France, comprenant des souvenirs personnels et un discographie complète décortiquée:
"Black Brother, La vie & l'oeuvre de Big Bill Broonzy", d'André Vasset, de 1996, à compte d'auteur.
"Black Brother, La vie & l'oeuvre de Big Bill Broonzy", d'André Vasset, de 1996, à compte d'auteur.
yza- Messages : 1236
Date d'inscription : 30/08/2009
Localisation : Enfer
Re: Sleepy John Estes par Big Bill Broonzy
ENORME !!!Bloomers a écrit:John avait une femme dans le camp, que nous appelions Marie la pleureuse parce qu'il la battait presque chaque jour. Il y était bien obligé d'ailleurs, sinon elle ne fichait absolument rien, tandis qu'après avoir été battue elle faisait les meilleurs gateaux et biscuits, et elle cuisinait à merveille. S'il ne la battait pas, elle laissait tout brûler, même la nourriture du chef.
C'était là tout le travail de John Estes : battre Marie et chanter pour nous.
Re: Sleepy John Estes par Big Bill Broonzy
Merci Bloomers ca c'est très très bon, je vais essayer de trouver ce bouquin
Re: Sleepy John Estes par Big Bill Broonzy
Sur DVD, Big Bill Broonzy est visible sur 4 titres datant de 1938/ 1942:
"Blues legends, The blues", Storyville 60323 de 2004.
"Blues legends, The blues", Storyville 60323 de 2004.
yza- Messages : 1236
Date d'inscription : 30/08/2009
Localisation : Enfer
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