Stephen Davis - Les chroniques égarées de la tournée américaine de Led Zeppelin
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Stephen Davis - Les chroniques égarées de la tournée américaine de Led Zeppelin
Vous n’êtes personne, du moins pas grand monde, pas suffisamment quelqu’un pour faire autre chose que de coller des posters du plus grand groupe du monde sur le mur de votre chambre, à peine de quoi vous payer le prix et le voyage pour le voir en concert, vous n’êtes personne, vous avez de la peine et rien d’autre à faire que d’essayer de la chasser en vous fabriquant des souvenirs.
La différence avec un journaliste de rock – trop souvent nommé un journaliste rock tout court – c’est que ce dernier existe par procuration, il adopte le mode de vie de ses proies pour mieux emplir le vide de son existence. Du moins cela doit ressembler à ça. Parce qu’à vrai dire à moins d’être aussi fou que Hunter S Thompson et créatif que Bang si vous commencez à parler de vous, de vos expériences, de votre état d’esprit au milieu de votre travail purement journalistique, vous risquez de déraper rapidement dans l’insipide. Ce n’est pas le cas ici, ce n’est pas insipide mais assez ennuyeux.
Controversé ou non Davis reste « marquant » il a su rendre humain ce groupe légendaire qu’est Led Zeppelin. Son précédent ouvrage sur le sujet lui avait fallut des remarques fielleuses, on peut comprendre que des personnalités de cette stature est du mal à concevoir que leur image de marque – c’est le cas de le dire- soit à ce point égratignée – et, surtout, est du mal à recevoir en plein visage les frasques abruties de leur jeunesse ou d’avoir à expliquer à leurs femmes et à leurs familles le pourquoi du comment de la chose et que « groupie » est une excellente marque de bière au demeurant. On peut aussi comprendre en quoi l’image du « journaliste » qui vit son sujet, qui l’incarne, possède une aura tentante pour tant de gens de l’époque et quelle époque.
Vous n’êtes plus scribouillard, pigiste, mal fagoté, en berne d’amour, en panne d’inspiration pour ce roman que vous vous jurez d’écrire depuis tellement d’années, vous ne fréquentez plus les basses fosses ou les zonards… rendez vous compte vous prenez l’avion avec le groupe et les groupies égarées frappent à votre porte. Vous êtes quelqu’un.
Le parallèle est pourtant intéressant l’auteur dévoile des bouts de sa vie intime, pour éclairer son état d’esprit – sans doute- de la même manière qu’il dévoile les tribulations d’un groupe monstrueusement célèbre plus partie en exile fiscale forcé qu’en tournée tonitruante. Ce traitement nous permet de comprendre en quoi se coincer les doigts dans une porte peut être un accident de travail et combien le thé au miel est décidemment un remède universel. Il ne rabaisse pas le mythe à l’état d’épave, il nous permet juste d’appréhender une certaine normalité.
Ainsi, notre journaliste vagabond s’amourache d’une hippie – éreintée- de passage, de la même façon que sa famille manque à Bonham ou que Page semble faire cohabiter ses conquêtes féminines au même étage d’un hôtel, les vies sont différentes, les problèmes sont les mêmes, c’est une question d’échelle, de perspective. Vous avez beau être le plus grand groupe de rock du monde, le plus rentable, il y a des soirs (jamais de matin) sans, de la négligence humaine, un égo surdimensionné, une forfanterie sans égale, peu d’excuse, vous êtes toujours trimballé émotionnellement d’un extrême à un autre, de quoi croire en des forces qui vous dépassent, de quoi prendre de la drogue et abuser.
La période de cette tournée 75 aux USA est la période de l’apothéose et des excès, sans doute, ou peut être plus, peut être que tout est déjà rentré dans la légende justement, légende à laquelle il faut bien coller. Alors même que cette période est surtout celle d’un éloignement, du pays, de la famille, du public (physiquement mais aussi des présents, des lettres de fans etc etc) et des valeurs économique de leurs origines, c’est une période de solitude où tout est fait pour remplir. L’épisode de Plan heureux de boire un breuvage indien et se vantant des origines de sa femme, le fait paraître comme un gamin fier de pouvoir parler de son nouveau jouet, fier de pouvoir exister normalement d’avoir quelque chose à raconter, loin du trublion qu’il est sur scène, comme si parler boisson chaude avait, au final, plus de poids que de vanter les mérites d’une pipe en coulisse.
Malheureusement si Davis a vu, vécu cette solitude, cette dichotomie, il ne semble pas en avoir quelque chose à faire, occupé qu’il est à nous parler de lui, à montrer qu’il est quelqu’un.
On vante souvent les mérites des journalistes d’investigation à l’anglo-saxonne, de ceux qui vont dans les poubelles, qui mentent, travestissent, forcent le destin pour nous rapporter les miettes et les paillettes. Dans cette optique, l’auteur fait le boulot, on apprend plein de choses, des solos de batterie en plein nuit dans un palace, aux pannes de voix d’un chanteur charismatique en passant par les achats compulsifs et la folie gravitationnelle qui entoure le groupe, on comprend mieux le trou noir qu’est le groupe, de comment il est déconnecté et de la réalité.
En revanche, comme trop souvent, du reste, de la musique il ne sera que peu question. Bien évidemment nous aurons droit à une pluie de terme rock, de ceux qui firent les beaux jours d’une presse flamboyante, les solos de batterie sont des charges de cavalerie, des cavalcades, des détonations une bonne vingtaine de fois, les solos sont magiques, les envolées… bref un catalogue d’adjectif ad hoc. Le livre est un véritable sac à tout faire pour journaliste en herbe – un groupe en fusion qui déverse son magma sulfureux sur une bande de kids en furie et toutes sortes de choses Reste qu’au-delà de ces mots, de ces expériences… il n’y a pas vraiment de référents, de positionnement, de réflexion (relire certains article de Paringaux le traducteur serait plus instructif sur ce que peut être une « prose rock » comportant des considérations musicales ou sociétales).
Les faits étant englobés de force dans le récit, celui-ci tient lieu d’écrin à une sacro sainte vérité. Cela pourrait être une relecture intéressante de note, une comparaison d’époque à époque, un brûlot... ou, si la forme est si importante, un condensé plus court des dites notes. Car ici, on a l’impression que la vie et l’avis de l’auteur servent à remplir un vide entre quelques lignes – souvent répétitives- de brouillon sur tel ou tel concert. Certes, le manque de complaisance (envers les autres et envers soi-même) permet un ton qui tranche avec l’hagiographie usuelle des biographes assermentés, toutefois cela amène également non pas un refus de la justification mais un refus de l’explication. De plus il est intéressant de notifier qu’une chronique a été écrite uniquement dans le but de « plaire » et de rendre un service à un autre, pour peu de temps après en éditer une autre dans un élan testamentaire.
Alors oui, on apprend des choses, on s’en amuse, on est nostalgique, on peut même aller jusqu’à envier ces moments, ces abus, cette gloire, on se régale de ces instants d’intimité trop énormes pour être vrais, on prend le mesure de la démesure… on se dit qu’avant les blogs n’existaient pas.
Wu wei- Messages : 4680
Date d'inscription : 04/07/2011
Re: Stephen Davis - Les chroniques égarées de la tournée américaine de Led Zeppelin
Merci pour cette chronique Wu Wei. Je ne suis pas assez fan des lives de LZ (notamment de la tournée 1975) pour me le procurer par contre.
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