Eric Deshayes : CAN pop musik
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Eric Deshayes : CAN pop musik
"Franchement, si vous pouviez arrêter de me parler de choucroute, vous me feriez un plaisir fou". Cette phrase définitive de Jaki Liebezeit le batteur - génial- de Can, en plus de fournir une accroche passe partout, me permet surtout d'éviter d'avoir à définir le rock allemand des années 60- 70.
Le nom du mouvement étant une forme assez insultante pour un germanique et s'étant imposé tardivement dans les médias, il doit être possible de le définir autrement. Quand on dit "définir" autant dire "écouter" autrement. Le problème des mots c'est qu'ils définissent justement, qu'ils encadrent, entourent de barbelés la pensée, celui qui apprécie un genre musical s'en détache pour mieux en explorer les tranchées et les alcôves, il n'a nul besoin de terme générique, bien au contraire ; pour celui qui n'aime pas le terme résonne comme une insulte, mettant un point définitif à toute discussion possible.
L'introduction de l'ouvrage met donc rapidement le point sur les "i" - comme on dit- Eric Deshayes (que l'on sent passionné dans sa quête explicative, d'autant qu'il conseille l'écouter d'un album - en boucle- durant pas moins d'une semaine pour en saisir les nuances, la recherche à ce point tend à la dévotion, or il y a des idoles ayant plus mauvaise allure), très vite il dresse un portrait de la situation musicale "pop rock" des années 60, afin d'y situer le groupe, afin de nous faire comprendre en quoi un mot, un seul, nous suffit pas à cerner cet ovni.
Can n'est pas un groupe de jeunes musiciens sautillants et frétillants, ni un groupe de vieux baroudeurs, ni un groupe d'intellectuels, ni un... hum... les techniques d'approche par la négative de fonctionnent pas dans ce cas précis. Can est un groupe hétéroclite de personne jouant de la musique ensemble, en cela il se rapproche des jam bands issus de la scène californienne, les illusions en moins. Can propose une musique complexe et primale, une musique issue des considérations classiques post-moderne -si vous appréciez Reich et consort vous serez servis- aussi bien que d'une pulsation première.
Une fois cela dit, l'auteur se propose de nous présenter le groupe, pour la première fois existera un livre présentant l'histoire musicale de cette formation culte. Un moyen de plonger dans leur discographie, leurs sources et trajectoire, pour mieux éviter les écueils définitifs et pour mieux comprendre les ramifications d'une telle musique.
Nous voilà très vite projetés loin des poncifs autour d'une musique allemande technique voir technologique, azimuté car trop intellectuelle, nous plongeons au contraire dans l'envie d'un groupe de "vieux" trentenaires qui veut en découdre avec tout ce qui passe, qui veut expérimenter. On improvise, loin des stades, loin des soubresauts politiques, on mixe et on coupe loin des considérations de rentabilités, on mélange, on additionne, on secoue et on sort une musique nouvelle. Une approche teintée de philosophie et de matières organiques, une musique qui se réinvente sans cesse (notamment sur scène mais pas uniquement).
On le voit très vite le projet de Deshayes se confronte à une impasse, le groupe est un groupe de studio, un groupe culte certes mais toujours undeground, loin des frasques des formations anglo-saxonnes, le but est de former un collectif soudé, de présenter une créativité protéiforme et non pas un logo commercial -sinon faut mettre des casques de motos - de fait en connaître plus sur la vie personnelle des uns ou des autres parait difficile, et quand bien même on sent que cela n'apporterait pas grand chose au projet.
Reste alors à l'écrivain la matière brute : les dates et les albums.
Les dates d'enregistrements, de concert et les pistes à décortiquer.
Ainsi si ce n'est quelques scories plus intimistes dispersées, saupoudrées, çà et là, l'ouvrage se concentre essentiellement sur son propos informatif. Une fois passer l'introduction, les phases vont inlassablement se succéder : repères chronologiques, indication des séances, sorties, légère contextualisation (en fonction de son importance, par exemple le "ratage" de l'album "out of reach" est explicité en amont, de même pour le succès d'un 45t) et analyse des titres composant l'album.
Ce motif, ce mantra, colle bien à l'ambiance du groupe, un groupe qui met en avant l'alternance, le répétitif pour mieux y glisser des variations et des motifs nouveau. Eric Deshayes n'a pas de quoi "analyser en profondeur" le groupe -il a de plus déjà consacré un autre ouvrage à cette période musicale, le risque de la redondance le guette donc- il ne s'intéresse au contenu. Son style est un mélange assez uniforme de savoir faire journaliste - date, lieu, présentation, faits marquants - et d'envolée tout droit sortie du gonzo, le deuxième permettant au lecteur de ne pas sombrer dans l'encyclopédisme moribond, le premier assurant un cadre bienvenue au deuxième. Ainsi les "rapports d'écoute" des titres sont parsemés de considérations personnelles, d'avis subjectifs, sans que jamais cela ne nuise à la cohérence du propos. Encore une fois on sent un auteur passionné par son sujet, suffisant pour dépasser le cadre austère de "l'article de fond du mois" type magazine, tout en gardant suffisamment de contrôle pour constamment contenir l'attention du lecteur.
A lire ces lignes on a qu'une envie c'est d'écouter les morceaux en même temps afin d'un saisir la temporalité mais aussi de comparer notre avis à celui de l'auteur. Cela incite à l'écoute et à l'échange. La densité de l'ouvrage offre ce sentiment, un recueil plus long et plus détaillé aurait pu être indigeste. Ici le choix formel prend tout son sens. On s'aperçoit aussi du peu de sources qui semble exister autour du collectif, là où nous sommes habitués aux frasques médiatico-musicales de certains artistes et.ou de certains médias ou encore aux artistes se promenant avec leur biographes personnels, ici toute place est faite à la musique. Deshayes est donc obligé de se référer souvent aux mêmes sources - ce qui est précisé dès le début de l'ouvrage- sans prendre le lecteur en traitre, cela génère également une légère frustration. Bien évidemment cette frustration peut être comblée par l'écoute des albums, reste que ce n'est pas vraiment cela que l'on recherche (pas uniquement) lorsque l'on lit un livre "musical". Peut être qu'un plus d'extrait d'entretien (une question de droit ? ) ou de plus nombreux parallèles musicaux ou sociaux auraient été de bonnes options?
En effet, dès le départ l'auteur fait des parallèles intéressants entre certaines oeuvres du groupe et d'autres (avec le velvet underground par exemple, mais pas uniquement), cela ouvre des perspectives intéressantes. Perspectives qui sont amorcées par des considérations sur le post-modernisme et qui déboucheront sur l'opposition entre "rock progressif" et "punk" des années 70 et sur le peu de fond véritable de cette opposition (on pensera ici à la "guerre" entre les Beatles et les Stones par exemple). Toutefois, les parallèles musicaux sont rares dans l'ouvrage, alors que de nombreuses pages forment une sorte de "liste des auteurs connus et populaires qui ont, depuis le punk, la new wave jusqu'à radio head et autre brian eno, cités plus ou moins explicitement Can dans leur références. Sans entacher le projet, on a du mal à comprendre l'intérêt d'un si long passage, d'autant que le propos est déjà présent en début d'ouvrage.
Alors que la partie la plus potentiellement bancale du livre, à savoir mêler des considérations informatives à des impressions subjectives, est bien négociée par Eric Deshayes, la partie sur "l'impact réel" du groupe m'a paru beaucoup plus faible, une sorte de faire-valoir, de "puisqu'eux les écoutent, c'est dire si c'est important". D'autant que le propos de départ est bien de montrer que les sources musicales du groupes étaient très variées et difficilement catégorisables. L'idée de tracer une descendance à Can m'apparait non pas futile mais étrangement vain.
Alors même qu'un peu plus d'information d'ordre social n'aurait pas nuit à l'ensemble, on pensera à un certain engagement politique (ou social) d'autres groupes, position dont l'appartenance ou non de Can pourrait donner une couche de lecture supplémentaire.
Reste que le travail d'Eric Deshayes repose sur d'indéniables qualité, une écriture interactives qui proposent des pistes sans jamais les imposer, des sources fiables (dont il est utile de les comparer à un article d'une célèbre encyclopédie en ligne n'ayant toujours pas été corrigée sur le sujet), des mises en perspectives musicales intéressantes, une balayage des idées reçues sur le groupe et sur le genre en générale, le tout dans un format dense.
Du bel ouvrage !
Wu wei- Messages : 4680
Date d'inscription : 04/07/2011
Re: Eric Deshayes : CAN pop musik
les mecs de Can ne font pas de concert mais y parait qu'ils toussent
Wu wei- Messages : 4680
Date d'inscription : 04/07/2011
Re: Eric Deshayes : CAN pop musik
Normal, tousser n'est pas joué.Wu wei a écrit:les mecs de Can ne font pas de concert mais y parait qu'ils toussent
Blueleader- Messages : 7793
Date d'inscription : 24/02/2010
Age : 61
Localisation : entre mulhouse et belfort
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