George Harrison : Brainwashed (2002)
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Electric Thing
Rising Sun
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George Harrison : Brainwashed (2002)
George Harrison : Brainwashed (2002)
1. Any Road
2. P2 Vatican Blues (Last Saturday Night)
3. Pisces Fish
4. Looking For My Life
5. Rising Sun
6. Marwa Blues
7. Stuck Inside A Cloud
8. Run So Far
9. Never Get Over You
10. Between The Devil And The Deep Blue Sea
11. Rocking Chair In Hawaii
12. Brainwashed
Nous sommes en 2002, George Harrison nous a quittés depuis un an... Il avait beaucoup travaillé ces dernières années (ce qui n'avait pas toujours été le cas). Après le projet d'Anthology des Beatles auquel il a activement participé, un album qu'il produit (et dans lequel il joue) pour Ravi Shankar (CHANTS OF INDIA en 1997, un sommet de spiritualité et de sérénité), album pour lequel il n'hésitera pas à donner des interviews conjointement avec Ravi Shankar (dont le contenu était souvent passionnant). N'oublions pas le travail magnifique sur la réédition de son chef-d'œuvre de 1970, le monumental ALL THINGS MUST PASS. Un must de dépoussiérage comme il est rare d'en réussir. En prime, une nouvelle version de "My Sweet Lord", laquelle permet d'entendre le chemin parcouru par l'angelo mysterioso à la slide, une manière de perfection sonore.
George a donc écrit, pendant cette période, et enregistré. 25 chansons, a-t-on dit. Peut-être un album reste-t-il encore à venir... La rumeur parlait de maquettes. Il a bien fallu se rendre à l'évidence, pour le perfectionniste de studio qu'était Harrison, la "maquette" pouvait déjà être fort aboutie, l'arrangement bien arrêté, toutes ses propres pistes enregistrées... plus du tout une maquette mais matière à réaliser l'album tant attendu. Jeff Lynne aux manettes... On a beaucoup parlé de ce personnage, le stigmatisant le plus souvent pour des choix esthétiques discutables et des interventions musicales pas toujours très inspirées. C'est dit. Maintenant, Jeff Lynne possède au moins un talent indéniable, il sait mettre en avant les qualités des interprètes qu'il enregistre, et surtout il a le don de construire l'architecture d'un album pour qu'il soit cohérent, lui assurant ainsi une colonne vertébrale solide... qualités qui étaient indéniablement présentes sur CLOUD NINE, indépendamment du son global de l'album (son inégal, plusieurs titres trouvant tout de même un traitement approprié). Combien d'albums, qui auraient pu tenir la route par ailleurs, n'ont-ils pas été sabotés par une construction douteuse de l'ordre des titres ? Voilà. Rendons justice à Jeff Lynne, c'est aussi quelqu'un qui a un jugement et des choix judicieux.
Alors, BRAINWASHED ? Par rapport à CLOUD NINE, il a la chance de sortir en 2002, pas en 1987, et les années 80 et leur cortège de synthés et autres sont loin. Comme il a déjà été dit, l'accompagnement de base est assuré par des guitares, acoustiques surtout, la part belle est faite au ukulélé, instrument qu'affectionnait particulièrement George a la fin de sa vie, et pour lequel il avait (encore) développé un réel talent (voir le dernier DVD du coffret ANTHOLOGY). Jim Keltner à la batterie, un gage de qualité, du wurlitzer, Jeff Lynne et Dhani Harrison, et bien sur les guitares de George.
Un George inspiré, tant au niveau instrumental que vocal. Si la voix est moins puissante, voire moins assurée que sur CLOUD NINE (il était alors à son meilleur niveau), elle a, cette fois, quelque chose de plus, une humanité, une sorte de feeling, une vibration. Quelque chose se passe... La maîtrise technique n'a rien à y voir. Il faut bien comprendre que sur ALL THINGS MUST PASS, réputé le sommet de sa carrière, George Harrison était loin de la maîtrise vocale qui allait être sienne sur des enregistrements ultérieurs. C'est pourtant un de ses disques où le feeling est le plus fort...
Les paroles aussi... on en a peu parlé pour Harrison. Il faut dire qu'il a été très inégal sur ce terrain. Les reproches ont plu sur les textes ésotériques, aidés en cela par l'aspect caricatural qu'on peut donner en occident à la pensée hindoue. George Harrison était tout sauf le niais embrigadé par des sectes que certains ont voulu décrire. Un personnage extrêmement complexe, parfois ambigu, un sage indien d'un million d'années qui aurait croisé les Monthy Pythons. En fait, c'est là qu'il est le meilleur. Ses meilleurs disques (ou les plus attachants) sont souvent les plus spirituels (En dehors de ALL THINGS MUST PASS, citons bien sur LIVING IN THE MATERIAL WORLD. Plus inégal et commercial, SOMEWHERE IN ENGLAND comportait plusieurs pépites comme "Life Itself", et les textes étaient profonds).
Manifestement la spiritualité est de retour ici, non dénuée d'humour parfois grinçant. Son album le plus emprunt de cette pensée depuis LIVING IN THE MATERIAL WORLD en 1973, la maturité en plus. Cette philosophie hindoue, loin de toute caricature, est aussi l'exigence de toute une vie...
Démarrage tambour battant avec "Any Road", avec un rythme des plus enlevés, le thème de la route et ses embûches et quelques ellipses amusantes, "si tu ne sais pas où tu vas, n'importe quelle route t'y mènera". Le meilleur moment du morceau, un pont de toute beauté ("You may not know where you came from..."). Et la slide. Confirmation que l'homme avait progressé tout au long de sa vie en ce domaine. Brillant. Un appel à Dieu, mais apaisé, confiant... "Tu peux t'incliner devant Dieu et l'appeler Monsieur", ça n'a guère d'importance... "et si tu ne sais pas où tu vas...". La bienveillance du propos préside.
Surprenant chez Harrison, mais une influence présente sur l'album, un blues. "P2 Vatican Blues". Ca sent un peu le pastiche à la Monthy Python. Harrison le Monthy Pyhton mystique y fustige gentiment les grenouilles de bénitier, tout ira bien avec "un Notre Père et trois Je vous salue Marie"... Notons au passage une ressemblance pour le moins étonnante (pour ne pas dire plus !) avec "Something Special" d'Eric Clapton qui ouvre le sous-estimé ANOTHER TICKET. Harrison avait quelque chance de connaître ce dernier morceau...
"Pisces Fish" (lié au signe astrologique de George ?) est un titre plus sombre, où la voix de George, ourlée vers le grave, atteint une profondeur des plus vibrantes. Un thème récurrent chez Harrison, surtout dans la réflexion qu'il avait menée ces dernières années, sur l'absurdité de ce monde. "Where the Hell am I living in ?", clamait-il parfois... En fin de compte, il n'est qu'un poisson et la rivière coule dans son âme. Une preuve vivante des contradictions de la vie. Alors, bien sur, l'ambiance est plus tendue ici. La maladie, peut-être, est présente, subtilement évoquée. Raison de plus pour, surtout, "descendre de cette grande roue"...
Par opposition, "Looking For My Life" est un titre beaucoup plus léger, du moins dans son rythme et en apparence. Car le texte est un véritable appel à Dieu, une question lancinante sur le sens de nos existences, au point d'en tomber à genoux. "Dieu, ne m'entendras-tu pas", la thématique était déjà présente dès 1970 sur "Hear Me Lord", sur ALL THINGS MUST PASS. Et Dieu peut être une réponse, à la condition toutefois de conserver son esprit critique... là est la rupture avec cette image très réductrice qu'il a traînée longtemps, sans chercher d'ailleurs à l'infirmer... Dieu n'est pas la solution derrière laquelle se retrancher, c'est sa quête qui est constructive. L'arrangement des guitares rythmiques qui s'entrecroisent est vraiment bien pensé.
"Rising Sun". Un sommet. Encore une interrogation sur l'existence, plus optimiste, une résurgence de la Bhagavad-Gîtâ et de la réincarnation... "Dans le soleil levant, tu peux voir ta vie commencer"... alors que "tu es âgé d'un million d'années désormais". Encore un texte très profond, sur l'absurdité et la vanité de cette vie que le monde tel qu'il est pensé nous amène à suivre. "Dans une chambre de miroirs, tu peux voir à des kilomètres, mais tout ici est déguisé". Une évocation très nette de maya, l'illusion suprême qui voile le sens vrai de nos vies. "Jusqu'à ce ton système nerveux finisse par tilter" (...) "Dans l'avenue des pécheurs, j'ai travaillé, jusqu'à en être presque détruit". George Harrison sans aucune complaisance, et très loin d'un optimisme béat face à cette construction destructrice qu'est devenue notre monde, et qu'il rejetait de plus en plus... Un arrangement orchestral superbe (non crédité sur l'album !), le solo de slide central, s'il est concis, est un modèle du genre et constitue le point culminant de cette composition d'inspiration divine... Un des plus beaux titres de sa carrière.
"Marwa Blues". Encore un sommet. Un instrumental d'une rare sérénité. Si Robert Johnson a croisé la route du diable pour réaliser son oeuvre, nul doute qu'au moment de créer et d'enregistrer ce titre, George avait rencontré Dieu... La slide est divine... L'orchestre, crédité cette fois, soutient l'ensemble de manière idéale.
Avec "Stuck Inside A Cloud", on ne redescend toujours pas. La slide toujours, avec le parfait contrepoint du wurlitzer de Dhani, le fils, discret mais opportun. Toujours l'interrogation sur le sens de la vie (pas celui des Monthy Pythons, cette fois...). L'homme était malade, le savait et restait très serein, très distant de cela au point de mettre tous ses médecins mal à l'aise sur la fin, impressionnés d'un tel détachement. Nul doute que l'écriture aura permis de mûrir sa réflexion pour accomplir le bout de la route en toute sérénité. Cette chanson en est une illustration. La slide est encore une fois d'inspiration inégalée. Les harmonies vocales de Harrison sont d'une subtilité rare.
Pour les amateurs de Clapton, "Run So Far" nous ramène en terrain connu car c'est un titre qu'il avait donné à Clapton pour JOURNEYMAN, l'excellent album paru en 1989. Une version très proche. L'arrangement des guitares rythmiques est très bien senti sur cette version, les parties de slide qu'il jouait sur celle de Clapton donnaient un relief supplémentaire. Une chanson subtile encore, sympathique.
"Never Get Over You"... une chanson d'amour. Et quelle chanson. Encore une grille faite d'accords assez complexes (George était assez amateur d'accords diminués, assez rares dans les chansons pop, rock, blues, folk ou autres...). Encore une fois, on ne sait pas vraiment si cette chanson est adressée à une personne physique vivant dans le monde matériel ou si c'est une prière adressée à Dieu. On ne le saura pas, Harrison aimait entretenir ce genre d'ambiguïté et se situait toujours un peu à la frontière. Une finesse incomparable dans les guitares, dans les harmonies vocales aussi. Les plus belles de l'album sont bien celles exécutées par George lui-même. Il avait beaucoup apporté déjà, du temps des Beatles...
Le titre suivant est plus surprenant, une reprise du "Between The Devil And The Deep Blues Sea" d'Harold Arlen, qui en son temps avait écrit "Over The Rainbow", le fameux titre chanté par Judy Garland dans LE MAGICIEN D'OZ, repris par Clapton plus récemment. George au ukulélé. Peut-être un morceau joué de manière impromptue avec sa bande de copains, Jools Holland au piano et Joe Brown à la guitare acoustique en tête. Des copains qui se font plaisir. George avait toujours apprécié ces grands compositeurs de chansons jazz tels Cole Porter ou Hoagy Carmichael, qu'il avait lui-même adaptés avec bonheur.
Nouvelle incursion dans le blues avec "Rocking Chair In Hawai", George au dobro et à l'acoustique ici, et toujours au ukulélé. Un accompagnement sobre qui sied bien à l'ambiance feutrée du morceau. L'aspect hanté que confèrent à ce titre les harmonies vocales de George évoque subtilement Robert Johnson. Un passage du sol au sol7 très bien senti dans les couplets...
L'album se conclut sur un "Brainwashed" très dynamique, avec cette intervention de cuivres qui a souvent démarqué l'oeuvre de George Harrison de ce qu'il avait pu faire avec les Beatles. Un morceau assez énergique. Assez acerbe aussi. On pense à Dylan avec ce "lavage de cerveau", celui de "Rainy Day Women # 12 & 35", d'autant qu'il n'est pas exclu que ce dernier soit cité ici ("Brainwashed my cousin Bob", Bob fut aussi Lucky - ou Boo - Wilbury, donc le cousin de George, lui-même Nelson - ou Spike ! - Wilbury), auquel cas Bob lui-même n'échapperait pas à ce lavage de cerveau que ce monde nous impose en permanence, des médias aux militaires, de Bruxelles à Bonn, du Dow Jones au Nikkei... Un certain humour encore... Assez amusant, le pont central. Une lecture par une voix féminine, d'un texte assez ésotérique, sur le mode "L'âme n'aime pas elle est l'amour lui-même..." sur tout un couplet pour finir par la citation du livre : "Comment connaître Dieu, page 130". Un comble de l'humour - dérision, très Harrison. Pour l'anecdote, notons la présence d'un autre copain, Jon Lord de Deep Purple, au piano sur ce titre.
Un titre qui finit avec une sorte de mantra, "Namah Parvati", en duo avec Dhani. Belle façon de tirer sa révérence.
Dhani avait déclaré, après coup, "Peut-être qu'il ne changera pas votre vie, mais il a changé la mienne". Un disque dont on aurait préféré qu'il ne soit pas posthume, mais dont les qualités sont indéniables. Plus accessible que d'autres alors que l'écriture musicale reste assez complexe, sans doute parce qu'il est aussi plus simple d'un point de vue rythmique que certain de ses prédécesseurs, sans qu'on puisse nécessairement y voir la patte de Jeff Lynne. En tout état de cause, un disque qu'on peut classer dans les meilleurs sortis par un des ex-Beatles.
1. Any Road
2. P2 Vatican Blues (Last Saturday Night)
3. Pisces Fish
4. Looking For My Life
5. Rising Sun
6. Marwa Blues
7. Stuck Inside A Cloud
8. Run So Far
9. Never Get Over You
10. Between The Devil And The Deep Blue Sea
11. Rocking Chair In Hawaii
12. Brainwashed
Nous sommes en 2002, George Harrison nous a quittés depuis un an... Il avait beaucoup travaillé ces dernières années (ce qui n'avait pas toujours été le cas). Après le projet d'Anthology des Beatles auquel il a activement participé, un album qu'il produit (et dans lequel il joue) pour Ravi Shankar (CHANTS OF INDIA en 1997, un sommet de spiritualité et de sérénité), album pour lequel il n'hésitera pas à donner des interviews conjointement avec Ravi Shankar (dont le contenu était souvent passionnant). N'oublions pas le travail magnifique sur la réédition de son chef-d'œuvre de 1970, le monumental ALL THINGS MUST PASS. Un must de dépoussiérage comme il est rare d'en réussir. En prime, une nouvelle version de "My Sweet Lord", laquelle permet d'entendre le chemin parcouru par l'angelo mysterioso à la slide, une manière de perfection sonore.
George a donc écrit, pendant cette période, et enregistré. 25 chansons, a-t-on dit. Peut-être un album reste-t-il encore à venir... La rumeur parlait de maquettes. Il a bien fallu se rendre à l'évidence, pour le perfectionniste de studio qu'était Harrison, la "maquette" pouvait déjà être fort aboutie, l'arrangement bien arrêté, toutes ses propres pistes enregistrées... plus du tout une maquette mais matière à réaliser l'album tant attendu. Jeff Lynne aux manettes... On a beaucoup parlé de ce personnage, le stigmatisant le plus souvent pour des choix esthétiques discutables et des interventions musicales pas toujours très inspirées. C'est dit. Maintenant, Jeff Lynne possède au moins un talent indéniable, il sait mettre en avant les qualités des interprètes qu'il enregistre, et surtout il a le don de construire l'architecture d'un album pour qu'il soit cohérent, lui assurant ainsi une colonne vertébrale solide... qualités qui étaient indéniablement présentes sur CLOUD NINE, indépendamment du son global de l'album (son inégal, plusieurs titres trouvant tout de même un traitement approprié). Combien d'albums, qui auraient pu tenir la route par ailleurs, n'ont-ils pas été sabotés par une construction douteuse de l'ordre des titres ? Voilà. Rendons justice à Jeff Lynne, c'est aussi quelqu'un qui a un jugement et des choix judicieux.
Alors, BRAINWASHED ? Par rapport à CLOUD NINE, il a la chance de sortir en 2002, pas en 1987, et les années 80 et leur cortège de synthés et autres sont loin. Comme il a déjà été dit, l'accompagnement de base est assuré par des guitares, acoustiques surtout, la part belle est faite au ukulélé, instrument qu'affectionnait particulièrement George a la fin de sa vie, et pour lequel il avait (encore) développé un réel talent (voir le dernier DVD du coffret ANTHOLOGY). Jim Keltner à la batterie, un gage de qualité, du wurlitzer, Jeff Lynne et Dhani Harrison, et bien sur les guitares de George.
Un George inspiré, tant au niveau instrumental que vocal. Si la voix est moins puissante, voire moins assurée que sur CLOUD NINE (il était alors à son meilleur niveau), elle a, cette fois, quelque chose de plus, une humanité, une sorte de feeling, une vibration. Quelque chose se passe... La maîtrise technique n'a rien à y voir. Il faut bien comprendre que sur ALL THINGS MUST PASS, réputé le sommet de sa carrière, George Harrison était loin de la maîtrise vocale qui allait être sienne sur des enregistrements ultérieurs. C'est pourtant un de ses disques où le feeling est le plus fort...
Les paroles aussi... on en a peu parlé pour Harrison. Il faut dire qu'il a été très inégal sur ce terrain. Les reproches ont plu sur les textes ésotériques, aidés en cela par l'aspect caricatural qu'on peut donner en occident à la pensée hindoue. George Harrison était tout sauf le niais embrigadé par des sectes que certains ont voulu décrire. Un personnage extrêmement complexe, parfois ambigu, un sage indien d'un million d'années qui aurait croisé les Monthy Pythons. En fait, c'est là qu'il est le meilleur. Ses meilleurs disques (ou les plus attachants) sont souvent les plus spirituels (En dehors de ALL THINGS MUST PASS, citons bien sur LIVING IN THE MATERIAL WORLD. Plus inégal et commercial, SOMEWHERE IN ENGLAND comportait plusieurs pépites comme "Life Itself", et les textes étaient profonds).
Manifestement la spiritualité est de retour ici, non dénuée d'humour parfois grinçant. Son album le plus emprunt de cette pensée depuis LIVING IN THE MATERIAL WORLD en 1973, la maturité en plus. Cette philosophie hindoue, loin de toute caricature, est aussi l'exigence de toute une vie...
Démarrage tambour battant avec "Any Road", avec un rythme des plus enlevés, le thème de la route et ses embûches et quelques ellipses amusantes, "si tu ne sais pas où tu vas, n'importe quelle route t'y mènera". Le meilleur moment du morceau, un pont de toute beauté ("You may not know where you came from..."). Et la slide. Confirmation que l'homme avait progressé tout au long de sa vie en ce domaine. Brillant. Un appel à Dieu, mais apaisé, confiant... "Tu peux t'incliner devant Dieu et l'appeler Monsieur", ça n'a guère d'importance... "et si tu ne sais pas où tu vas...". La bienveillance du propos préside.
Surprenant chez Harrison, mais une influence présente sur l'album, un blues. "P2 Vatican Blues". Ca sent un peu le pastiche à la Monthy Python. Harrison le Monthy Pyhton mystique y fustige gentiment les grenouilles de bénitier, tout ira bien avec "un Notre Père et trois Je vous salue Marie"... Notons au passage une ressemblance pour le moins étonnante (pour ne pas dire plus !) avec "Something Special" d'Eric Clapton qui ouvre le sous-estimé ANOTHER TICKET. Harrison avait quelque chance de connaître ce dernier morceau...
"Pisces Fish" (lié au signe astrologique de George ?) est un titre plus sombre, où la voix de George, ourlée vers le grave, atteint une profondeur des plus vibrantes. Un thème récurrent chez Harrison, surtout dans la réflexion qu'il avait menée ces dernières années, sur l'absurdité de ce monde. "Where the Hell am I living in ?", clamait-il parfois... En fin de compte, il n'est qu'un poisson et la rivière coule dans son âme. Une preuve vivante des contradictions de la vie. Alors, bien sur, l'ambiance est plus tendue ici. La maladie, peut-être, est présente, subtilement évoquée. Raison de plus pour, surtout, "descendre de cette grande roue"...
Par opposition, "Looking For My Life" est un titre beaucoup plus léger, du moins dans son rythme et en apparence. Car le texte est un véritable appel à Dieu, une question lancinante sur le sens de nos existences, au point d'en tomber à genoux. "Dieu, ne m'entendras-tu pas", la thématique était déjà présente dès 1970 sur "Hear Me Lord", sur ALL THINGS MUST PASS. Et Dieu peut être une réponse, à la condition toutefois de conserver son esprit critique... là est la rupture avec cette image très réductrice qu'il a traînée longtemps, sans chercher d'ailleurs à l'infirmer... Dieu n'est pas la solution derrière laquelle se retrancher, c'est sa quête qui est constructive. L'arrangement des guitares rythmiques qui s'entrecroisent est vraiment bien pensé.
"Rising Sun". Un sommet. Encore une interrogation sur l'existence, plus optimiste, une résurgence de la Bhagavad-Gîtâ et de la réincarnation... "Dans le soleil levant, tu peux voir ta vie commencer"... alors que "tu es âgé d'un million d'années désormais". Encore un texte très profond, sur l'absurdité et la vanité de cette vie que le monde tel qu'il est pensé nous amène à suivre. "Dans une chambre de miroirs, tu peux voir à des kilomètres, mais tout ici est déguisé". Une évocation très nette de maya, l'illusion suprême qui voile le sens vrai de nos vies. "Jusqu'à ce ton système nerveux finisse par tilter" (...) "Dans l'avenue des pécheurs, j'ai travaillé, jusqu'à en être presque détruit". George Harrison sans aucune complaisance, et très loin d'un optimisme béat face à cette construction destructrice qu'est devenue notre monde, et qu'il rejetait de plus en plus... Un arrangement orchestral superbe (non crédité sur l'album !), le solo de slide central, s'il est concis, est un modèle du genre et constitue le point culminant de cette composition d'inspiration divine... Un des plus beaux titres de sa carrière.
"Marwa Blues". Encore un sommet. Un instrumental d'une rare sérénité. Si Robert Johnson a croisé la route du diable pour réaliser son oeuvre, nul doute qu'au moment de créer et d'enregistrer ce titre, George avait rencontré Dieu... La slide est divine... L'orchestre, crédité cette fois, soutient l'ensemble de manière idéale.
Avec "Stuck Inside A Cloud", on ne redescend toujours pas. La slide toujours, avec le parfait contrepoint du wurlitzer de Dhani, le fils, discret mais opportun. Toujours l'interrogation sur le sens de la vie (pas celui des Monthy Pythons, cette fois...). L'homme était malade, le savait et restait très serein, très distant de cela au point de mettre tous ses médecins mal à l'aise sur la fin, impressionnés d'un tel détachement. Nul doute que l'écriture aura permis de mûrir sa réflexion pour accomplir le bout de la route en toute sérénité. Cette chanson en est une illustration. La slide est encore une fois d'inspiration inégalée. Les harmonies vocales de Harrison sont d'une subtilité rare.
Pour les amateurs de Clapton, "Run So Far" nous ramène en terrain connu car c'est un titre qu'il avait donné à Clapton pour JOURNEYMAN, l'excellent album paru en 1989. Une version très proche. L'arrangement des guitares rythmiques est très bien senti sur cette version, les parties de slide qu'il jouait sur celle de Clapton donnaient un relief supplémentaire. Une chanson subtile encore, sympathique.
"Never Get Over You"... une chanson d'amour. Et quelle chanson. Encore une grille faite d'accords assez complexes (George était assez amateur d'accords diminués, assez rares dans les chansons pop, rock, blues, folk ou autres...). Encore une fois, on ne sait pas vraiment si cette chanson est adressée à une personne physique vivant dans le monde matériel ou si c'est une prière adressée à Dieu. On ne le saura pas, Harrison aimait entretenir ce genre d'ambiguïté et se situait toujours un peu à la frontière. Une finesse incomparable dans les guitares, dans les harmonies vocales aussi. Les plus belles de l'album sont bien celles exécutées par George lui-même. Il avait beaucoup apporté déjà, du temps des Beatles...
Le titre suivant est plus surprenant, une reprise du "Between The Devil And The Deep Blues Sea" d'Harold Arlen, qui en son temps avait écrit "Over The Rainbow", le fameux titre chanté par Judy Garland dans LE MAGICIEN D'OZ, repris par Clapton plus récemment. George au ukulélé. Peut-être un morceau joué de manière impromptue avec sa bande de copains, Jools Holland au piano et Joe Brown à la guitare acoustique en tête. Des copains qui se font plaisir. George avait toujours apprécié ces grands compositeurs de chansons jazz tels Cole Porter ou Hoagy Carmichael, qu'il avait lui-même adaptés avec bonheur.
Nouvelle incursion dans le blues avec "Rocking Chair In Hawai", George au dobro et à l'acoustique ici, et toujours au ukulélé. Un accompagnement sobre qui sied bien à l'ambiance feutrée du morceau. L'aspect hanté que confèrent à ce titre les harmonies vocales de George évoque subtilement Robert Johnson. Un passage du sol au sol7 très bien senti dans les couplets...
L'album se conclut sur un "Brainwashed" très dynamique, avec cette intervention de cuivres qui a souvent démarqué l'oeuvre de George Harrison de ce qu'il avait pu faire avec les Beatles. Un morceau assez énergique. Assez acerbe aussi. On pense à Dylan avec ce "lavage de cerveau", celui de "Rainy Day Women # 12 & 35", d'autant qu'il n'est pas exclu que ce dernier soit cité ici ("Brainwashed my cousin Bob", Bob fut aussi Lucky - ou Boo - Wilbury, donc le cousin de George, lui-même Nelson - ou Spike ! - Wilbury), auquel cas Bob lui-même n'échapperait pas à ce lavage de cerveau que ce monde nous impose en permanence, des médias aux militaires, de Bruxelles à Bonn, du Dow Jones au Nikkei... Un certain humour encore... Assez amusant, le pont central. Une lecture par une voix féminine, d'un texte assez ésotérique, sur le mode "L'âme n'aime pas elle est l'amour lui-même..." sur tout un couplet pour finir par la citation du livre : "Comment connaître Dieu, page 130". Un comble de l'humour - dérision, très Harrison. Pour l'anecdote, notons la présence d'un autre copain, Jon Lord de Deep Purple, au piano sur ce titre.
Un titre qui finit avec une sorte de mantra, "Namah Parvati", en duo avec Dhani. Belle façon de tirer sa révérence.
Dhani avait déclaré, après coup, "Peut-être qu'il ne changera pas votre vie, mais il a changé la mienne". Un disque dont on aurait préféré qu'il ne soit pas posthume, mais dont les qualités sont indéniables. Plus accessible que d'autres alors que l'écriture musicale reste assez complexe, sans doute parce qu'il est aussi plus simple d'un point de vue rythmique que certain de ses prédécesseurs, sans qu'on puisse nécessairement y voir la patte de Jeff Lynne. En tout état de cause, un disque qu'on peut classer dans les meilleurs sortis par un des ex-Beatles.
Dernière édition par Rising Sun le 25.04.08 15:34, édité 1 fois
Re: George Harrison : Brainwashed (2002)
Une des plus belles chroniques...
L'album, lui, je ne le connais toujours pas !
L'album, lui, je ne le connais toujours pas !
Electric Thing- Messages : 2628
Date d'inscription : 15/04/2008
Age : 53
Localisation : Légèrement à gauche de Saturne !
Re: George Harrison : Brainwashed (2002)
Réécouté à l'instant : certainement l'un de ses meilleurs albums solos. C'est un disque sobre, avec une production plus minimaliste que l'ensemble de sa discographie. Quelques chansons sont remarquables au niveau de l'écriture, et son style en slide plus affirmé que jamais.
Un disque qui correspond vraiment à la personnalité musicale de George Harrison.
Un disque qui correspond vraiment à la personnalité musicale de George Harrison.
Re: George Harrison : Brainwashed (2002)
Un superbe album (le meilleur avec All things must pass) et de grands moment musicaux comme Rising Sun
et Marwa Blues ce dernier cité étant carrément ASTRAL.
et Marwa Blues ce dernier cité étant carrément ASTRAL.
Re: George Harrison : Brainwashed (2002)
A propos de George Harrison - l'homme, le témoignage émouvant de Chuck Leavell.
Re: George Harrison : Brainwashed (2002)
Belle chronique qui donne envie d'acheter ce disque que je méconnais ! bravo !
Re: George Harrison : Brainwashed (2002)
Très belle chronique. Superbe album.
Titi- Messages : 185
Date d'inscription : 24/09/2008
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